Petit traité de manipulation à l’usage des honnêtes gens
Ce livre m’a servi dans l’article sur la crise Syrienne et les pièges de la décision dans lesquelles se trouvait le Président M. Hollande. J’y ai évoqué l’escalade d’engagement, processus qui consiste à s’accrocher à une décision initiale même si elle s’avère inefficace par la suite. Il s’agit de pièges redoutables car la personne qui en est la victime consentante va avoir tendance à s’y enfermer en rationalisant sa décision a posteriori.
Voyons comment, même un vendeur de voitures, peut tomber dans ce piège. Face à ce couple qu’il rencontre pour la 3ème fois, avec qui il a passé des heures à expliquer les avantages de son produit, répondre à leurs questions et faire une démonstration en condition réelle d’utilisation, quelle décision va-t-il prendre quand à la « super offre » qu’il pensait faire pour remporter la vente, le couple décline prétextant un dépassement de budget ? Va-t-il rester ferme sur sa position et risquer de perdre la vente ou s’ingénier à trouver les moyens pour accorder « une remise supplémentaire exceptionnelle » quitte à rogner sur sa commission ?
Tout ça pour dire, que vous qui lisez ces lignes, vous découvrirez peut être que vous pratiquez la manipulation sans même le savoir. Qui parmi nous n’a pas cherché un jour à vouloir que les autres fassent ce que vous souhaitez ? Peut être aussi, vous en avez marre de vous laisser manipuler. La question posée dans ce livre est relative aux moyens mis en œuvre par vous ou par autrui pour exercer une influence sur les autres.
Pour ne pas être victime des manipulateurs, il vaut mieux en connaître les techniques. Dans ce livre, les auteurs Robert-Vincent Joule et Jean-Léon Beauvois les ont largement répertoriées et disséquées. De ce fait, le démasquage de ces manœuvres est rendu plus aisé même si réussir à les neutraliser n’est pas, pour autant, gagné d’avance.
La manipulation au quotidien : sommes nous libres de nos choix ?
La réussite de ce livre résulte du fait que la manipulation ne connaît pas de frontières et s’applique dans de multiples domaines : les relations amoureuses, hiérarchiques, commerciales, politiques, etc… Le talent du manipulateur se trouve dans sa capacité à donner au sujet manipulé l’illusion de la liberté. Les auteurs ont qualifié ce processus de « soumission librement consentie ». Se sentir socialement obligé, par politesse ou pour préserver une image de quelqu’un qui va jusqu’au bout de ses choix, constituent des ressorts poussant un sujet à agir dans une direction qui ne correspond pas ou plus forcément à ses intérêts. Selon les auteurs, ce besoin de « consistance comportementale » aide à comprendre et même à prédire les conduites humaines.
Etayé de nombreux exemples scientifiques tirés des recherches publiées dans le domaine de la psychologie sociale, les auteurs vont décrire les mécanismes qui peuvent dicter tel ou tel comportement. Ils vont ensuite décoder la panoplie des techniques de manipulation qui peuvent en résulter. Ils le font en mettant en scène, tout au long de leur ouvrage, une certaine Madame O.
Les pièges de la décision : la théorie de l’engagement
C’est l’incapacité à « dire stop » qui fait persister dans des décisions très peu rationnelles. Les auteurs ont décrit les ressorts psychologiques qui y contribuent :
« La dépense gâchée ». La personne est d’autant plus enfermée dans le piège et la probabilité d’y persister est d’autant plus grande que la dépense initiale a été plus coûteuse. Ceci pousse, par exemple, à assister jusqu’au bout à la projection d’un film qui nous déplaît.
« Le piège abscons ». C’est le fameux « je me suis trop engagé pour faire machine arrière » qui illustre parfaitement ce processus. C’est une série de décisions censées compenser une perte subie mais qui dans les faits l’accroit. C’est, par exemple, continuer à investir en réparation pour une voiture alors qu’il vaut mieux s’en séparer.
« L’effet de gel ». C’est l’adhésion à une idée que nous avons eue et qui devient encore plus forte quand elle a été prise en présence de quelqu’un ou avec un groupe.
Par exemple, des amis décident de faire une balade à vélo un jour donné et les conditions météorologiques entre temps se dégradent rendant cette sortie moins agréable. Contrairement à certains mordus qui ont maintenu leur participation, plusieurs, et sans regret, l’annulent. Sauf une personne qui, se sentant obligée d’y aller quand même, le fait à contre cœur et n’a cesse après de s’en plaindre.
Les techniques de manipulation
Joule et Beauvois en dénombrent plusieurs en leur donnant des noms « imagés » et parfois, je le regrette, un peu tiré par les cheveux.
« Le pied dans la porte ». Faire une requête peu coûteuse suivie, une fois que la personne l’a acceptée, d’une demande qui l’est beaucoup plus. Une condition cependant, la demande initiale doit avoir 100% de chances d’être acceptée et la personne doit être libre de le faire avec un minimum d’implication.
Ex : – Avez-vous l’heure, SVP ?
– Oui, il est 12h35
– Avez-vous une cigarette ?
« La porte au nez ». Exagérer la première demande (sans être ridicule ou déplacée) pour être certain qu’elle soit refusée pour, ensuite, faire une demande moins coûteuse. Ex : un ami vous demande un prêt de 250 € que vous refusez mais vous acceptez de lui prêter 50€…
« L’étiquetage ». Donner une caractéristique positive à la personne, « vous êtes quelqu’un de généreux, ça se voit », suivi par « pourriez-vous faire un don ? ». Il suffit ensuite de rajouter cette phrase « … mais vous êtes libre de … » pour augmenter considérablement le taux d’acceptation. Plus une personne a le sentiment qu’elle a été libre de faire un choix, plus elle a des chances de persévérer même si le bénéfice escompté n’existe plus.
« Le leurre ». On vous fait miroiter un bénéfice et, à l’arrivée, il n’existe plus, mais vous vous sentez coincé.
Ces techniques peuvent aussi en les combinant devenir plus complexes :
« Étiquetage dans pied dans la porte ». Une personne étiquetée d’abord comme honnête et serviable a plus de chance de rendre un billet tombé de la poche d’un passant.
« Double porte au nez ». C’est l’exemple de la femme qui informe son mari de la visite projetée de sa mère.
– Femme : ma mère vient chez nous deux semaines
– Mari : Ah non !
– Elle vient alors une semaine
– Non, c’est trop
– Bon, que le week-end ?
– OK !
Comment se protéger des manipulations que nous subissons ?
Les auteurs proposent d’appliquer les principes suivants pour ne pas tomber dans le piège de la manipulation:
1. Fixer une limite au départ ;
2. Apprendre à revenir sur une décision;
3. Considérer les décisions successives comme indépendantes;
4. Evaluer la liberté à sa juste valeur – la liberté est un concept qui s’applique aux grandes décisions et exige des efforts.
En conclusion
Malgré son objectif qui se veut de vulgarisation, cet excellent livre m’a paru parfois un peu trop académique. Cela rend la lecture de certaines parties un peu fastidieuse nécessitant une grande concentration pour comprendre. Heureusement, les multiples expériences relatées, grâce aux preuves qui en découlent, rendent la lecture plus agréable.
Le propos de Joule et Vincent n’est pas, bien sûr, de transformer les lecteurs en champions de la manipulation. Malheureusement, il est inévitable que certains les détourneront pour poursuivre des buts moins avouables. Dans ce cas, à ne pas mettre entre toutes les mains. Sinon, à lire absolument.
Petit traité de manipulation à l’usage des honnêtes gens, Robert-Vincent Joule et Jean-Léon Beauvois, éditions PUG
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