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Du recours à la MESORE* en négociation par le politique

Qu’il s’agisse de la négociation sur la sécurisation de l’emploi (la flexi-sécurité) entre le Medef et les Organisations Syndicales ou celle sur le partage de la valeur entre la Direction de Google France avec la presse, comment le pouvoir socialiste a-t-il réussi à ne pas se retrouver, comme d’habitude, empêtré au milieu de la mêlée  et obliger les parties prenantes à se prendre elles-mêmes en charge ?

Le plus souvent, quand sur un sujet débattu, le pouvoir en place n’a pas le droit à l’échec, il finit par se substituer aux acteurs des négociations pour les forcer à parvenir à un compromis. Le succès de la négociation est alors fréquemment obtenu en « mettant la main à la poche » en contrepartie des concessions arrachées aux uns et autres. A ce jeu, tout le monde y trouve son compte sauf le contribuable. Celui-ci n’a pas son mot à dire. Ni lui ni, ses représentants n’ont été invités à la table de négociation.

Comment le gouvernement a-il joué à chaque fois de la puissance de la Mesore afin d’inciter les parties prenantes à parvenir à un accord ?

Dans mon analyse je ne porte pas de jugement sur la qualité des accords  obtenus sachant que concernant la négociation sur la réforme du marché du travail certains ont claironné qu’il s’agissait d’un « accord historique », alors que pour ses opposants, il s’agissait d’un « repli historique » et une régression sociale concernant le code du travail. De même, sur l’accord avec Google France, les favorables y ont trouvé une victoire grâce aux 60 millions obtenus pour la création d’un fonds destiné à faciliter la transition numérique des éditeurs de la presse d’information politique et générale, alors que pour les autres, la limitation de cet accord à 5 ans un échec et une manifestation de plus de la toute puissance de Google.

La méthode retenue par le gouvernement repose sur des approches bien connues des négociateurs professionnels. Techniquement, d’un côté, elle s’appuie sur la recherche et la définition de sa « Meilleure solution de rechange à un accord négocié » – la Mesore -. Il s’agit en fait de sa solution en-dehors de tout accord et qu’il convient de connaître avant de démarrer sa négociation.

De l’autre, négocier des règles du jeu et fixer un cadre pour la négociation. Aux termes des accords acceptés par les parties, elles se sont mises d’accord, entre autres, pour garantir tout au long du dialogue la non divulgation aux médias des éventuelles dissensions.

Afin d’inciter les acteurs concernés à prendre en main leurs négociations, dans les deux négociations citées, la règle édictée par le gouvernement était simple : « Si vous ne parvenez pas à un accord dans un délai fixé à l’avance, nous exercerons notre droit de légiférer sur les sujets débattus ». C’est la Mesore en cas de non accord négocié.

En d’autres termes, le Gouvernement dit clairement qu’il n’a pas l’intention de se substituer aux parties prenantes de la négociation, mais qu’il regardera avec beaucoup d’attention ce qu’elles vont faire et comment elles le font. Autrement dit, qu’il portera son attention aussi bien sur le fonds que sur la forme. Il pose ainsi comme principe que la négociation doit précéder le droit et pas l’inverse. Il rappelle, qu’il a pris un engagement sur cette question, et que sa crédibilité est en jeu. Si donc par malheur il y a un blocage, il n’hésitera pas un instant à faire voter une loi. Dès le début des discussions la Mesore, qui est la solution en cas d’échec, est ainsi dévoilée et affichée**.

Il convient de rajouter que, les positions de départ des parties en présence étaient tellement éloignées, que ceci minimisait les chances qu’elles puissent parvenir seules à un accord. Dans la négociation avec Google France, le pouvoir a imposé la présence d’un médiateur pour aider les parties à dépasser leurs divergences. En parallèle, l’épée de Damoclès d’un redressement fiscal était rappelée et brandie par le Ministère des Finances. En fait, le Gouvernement a puisé dans le registre large des différentes catégories de Mesore. D’un côté, la Mesore que nous appelons “coup de poing” (une loi, un redressement fiscal) et de l’autre, la Mesore “tierce partie” (un médiateur) pour faciliter la négociation.

Dans toute négociation, il est indispensable d’arriver à la table en ayant déjà réfléchi à la Mesore, la sienne et celle de la partie adverse. Cette dernière peut être forte, faible ou inexistante. C’est un des éléments clés dans la préparation de sa négociation. Dès lors, la stratégie poursuivie par les négociateurs va en dépendre. Il s’agit d’un aspect qui rebute généralement le négociateur français. Ce dernier, par une sorte de superstition, ne comprend pas pourquoi il faut penser à l’échec alors qu’il rentre justement en négociation pour parvenir à un accord.

Concrètement, si un négociateur professionnel estime que sa Mesore est faible, alors qu’il perçoit celle de son interlocuteur comme étant plus forte, il va éviter de menacer de la mettre en oeuvre ou d’afficher une intransigence sur sa position en disant qu’elle est à prendre ou à laisser. En d’autres termes, il se montre conciliant. En revanche, s’il est convaincu que sa Mesore est finalement assez intéressante, et de toute façon au-delà de ce que son interlocuteur ne l’imagine, il peux décider de lui en faire part pour l’amener à réfléchir et à revenir à la raison. C’est exactement la manière avec laquelle le Gouvernement a procédé. Il faut noter enfin, que pour un négociateur il arrive parfois que sa MESORE soit tellement bonne qu’il a alors tout intérêt à refuser d’entrer en négociation ou, s’il y est contraint, de tout faire pour la faire échouer.

En indiquant clairement que le pouvoir légiférerait en cas de désaccord tout en fixant un délai pour la négociation, ce dernier a placé les partenaires sociaux devant leurs responsabilités. Evidemment, le délai doit être suffisamment long pour permettre un débat de fond sur les objets débattus, mais pas trop long non plus pour éviter les manœuvres dilatoires et les pseudo-négociations de certains consistant à jouer la montre et à repousser aux calanques grecques la possibilité d’un accord.

En plus dans le premier cas, le gouvernement a su, un peu avant la fin de la « dead line » fixée initialement à fin décembre 2012, faire preuve de souplesse. Il a accordé aux partenaires sociaux, face aux difficultés rencontrées notamment l’achoppement des négociations sur la taxation des CDD, deux semaines de délais supplémentaires.

Le dialogue social est il enfin sur les bons rails en France ? 

Même si je salue un changement salutaire du rôle de l’état dans les négociations sociales, qu’il me soit permis d’en douter.

Le grand aggiornamento des relations sociales, promis par le Président Hollande, n’a pas eu lieu.

La CGT et FO, même si elles y ont participé jusqu’au bout, ce qu’il faut reconnaître est positif, contestent avec force cet accord et promettent de le combattre. Ce qu’elles ont commencé à faire le 5 mars le jour où le gouvernement voulait valider le texte ouvrant de nouveaux droits aux salariés et davantage de flexibilité aux entreprises.

Et le gouvernement, que cherche-t-il à obtenir en faisant voter le mercredi 27 février au Sénat la loi sur l’amnistie sociale ? Cette dernière prévoie d’annuler pour les syndicalistes les condamnations pénales et les sanctions disciplinaires passible de 5 ans de prison au maximum, pour les atteintes aux biens commises entre le 1er janvier 2007 et le 1er février 2013. Ne faudrait-il pas y voir une contrepartie non liée, pour calmer l’opposition de certains syndicats (CGT et FO)?

En tout état de cause, « l’arme » de la Mesore a été, de toute évidence, utilisée avec un certain succès par le Gouvernement de M. Jean-Marc Ayrault. Gageons que ce dernier fera tout pour que le texte soit voté au Parlement après le Sénat pour bien montrer que, contrairement à la précédente majorité, le pouvoir actuel encourage et respecte le Dialogue Social. Il en a tant besoin compte tenu d’un bilan plus que mitigé pour ses sept premiers mois d’exercice du pouvoir.

NB

L’accord trouvé le 11 janvier 2013 donne :

Pour les entreprises :

– plus de flexibilité en cas de graves difficultés conjoncturelles
– des licenciements économiques plus faciles avec gain de temps et de sécurité juridique
– une taxation des CDD compensée dans certains cas par une baisse des charges

Pour les salariés :

– la généralisation des mutuelles de santé à tous les salariés
– les temps partiels encadrés
– des CDD taxés à 5,5% ou 7% en fonction de leurs durées au lieu des 4% antérieur
– la formation des salariés encouragées par la création d’un “compte personnel de formation” transférable

 

*Meilleure solution de rechange à un accord négocié
**le gouvernement n’a pas hésité à rajouter que les députés socialistes très à gauche rêvaient, entre autres, d’instaurer une taxation sévère des CDD

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